Il y a deux manières d’expliquer les hausses du prix du pétrole, le Conjoncturel (grève, guerre, accident, trader fou) et le Structurel (stagnation de l’offre, hausse de la demande, pic de production).
A chaque hausse du prix du baril de pétrole les arguments à court terme sont du type le trader fou qui s’impose aux dépends des analyses à long terme, c’est la victoire de l’émotionnel sur le rationnel.
I. « Le trader fou » :
Il y a quelques semaines, un l’article circulait sur Internet, il avait comme titre : « un trader fou fait monter le prix du pétrole de 2 dollars ». Sous entendu insidieusement dans cet article que la spéculation est responsable de la hausse du prix du pétrole. C’est le titre d’un grand quotidien français qui relait l’info d’un grand quotidien anglais, au sujet d’un trader londonien qui aurait fait monter les prix du pétrole de 2 dollars. Sur le même sujet
une grande chaîne de télévision française titrait « L’homme qui a fait exploser le prix du pétrole« , « Un courtier « voyou » fait grimper de plus de deux dollars le prix du pétrole » titrait une grande agence de presse et pour n’oublier personne un site web annonçait « un trader manipule les cours et perd 10 M$ à Londres. »
Par leurs titres à la fin du mois de juin les flux d’informations (tv, journaux, web), sous entendent que la hausse du pétrole de 30 dollars à 70 dollars n’est que le fruit d’un obscur trader londonien qui aurait abusé du bon vin en fin de repas avant d’avoir le doigt un peu trop lourd sur la souris au moment de passer ses ordres d’achats. Cela n’est jamais dit de façon directe mais c’est un peu le sentiment que cela laisse au lecteur.
Alors que dans le même temps la Chine continue ses achats pétroliers à coup de dizaines de milliards de dollars, les médias européens sont hypnotisés par le trader fou.
II. Chine et le pétrole : ses achats pétroliers.
La Chine annonce qu’elle a l’intention d’augmenter ses réserves stratégiques de pétrole de 60% et signe tous les jours de nouveaux accords avec les pays producteurs.
Je vous propose quelques exemples ici depuis le début de la crise économique :
– Au Brésil, la Chine est devenue le premier partenaire économique du pays, et en haut de la liste de course de la Chine se trouve le pétrole brésilien. La Chine a signé des accords avec le brésil et sa principale compagnie nationale Petrobras, en échange d’un prêt de 10 milliards de dollars que le Brésil remboursera en pétrole aux compagnies chinoises Sinopec, Petrochina, Unipec et Sinochem. Il y a aussi des contrats pour l’exploration de pétrole, du raffinage et des services pétroliers.
– La Chine a signé avec le Kazakhstan un prêt de 10 milliards de dollars en échange de l’accès aux ressources pétrolières et gazières de ce pays de l’Asie centrale. La construction d’un gazoduc après celui d’un oléoduc et l’objectif est de tripler les exportations de cette région vers la Chine. China national petroleum corporation a ainsi acheté des parts de la compagnie Kazakh KazMunaiGaz (KMG).
– CNPC achète pour 499 millions de dollars, la compagnie Canadienne de pétrole Verenex petroleum qui explore en Lybie (ensuite la Lybie a exercé son droit de préemption).
– Le producteur de pétrole Addax petroleum (Nigeria, gabon, Cameroun, Irak) est acheté pour 7,2 milliards de dollars par Sinopec.
– Construction d’un gazoduc au large de la Birmanie pour l’acheminement du gaz vers la Chine avec le sud coréen Daewoo et l’entreprise national Myanmar oil and gaz entreprise (MOGE).
– La Chine signe un prêt de 5 milliards de dollars avec l’Angola pour construire une usine de voiture et achète un gisement off shore au large de l’Angola à l’Américain Marathon oil pour 1.3 milliards de dollars par l’intermédiaire de Sinopec et Cnooc (China National Offshore Oil Corporation).
– La Chine a signé un contrat de 1 milliard de dollars avec l’Equateur et sa compagnie nationale Petroecuador de pétrole, en échange de la construction d’infrastructures (routes, ports, aéroports) et avec l’Equateur va payer la Chine en pétrole.
– Au Pérou CNPC a acheté 45% de la compagnie Péruvienne Pluspetrol qui doit produire 63% de la production pétrolière du pays.
– En Iran, CNPC (China National Petroleum Corporation) a signé un contrat de 4.7 milliards de dollars au détriment du français Total avec NIOC (National Iranian Oil Company) pour le gisement gazier de South Pars.
– Au Tchad, CNPC a signé pour la construction de la première raffinerie du pays à N’Djamena pour 960 millions de dollars.
– Annonce d’achats par CNPC de 45,5% d’une compagnie pétrolière de Singapour.
Les compagnies chinoises signent aussi des accords de partenariats géants avec les grandes compagnies occidentales : Shell avec Sinopec (China Petroleum & Chemical ) et CNPC pour Kirkuk, BP avec CNPC en Irak, Total avec CNPC pour des gisements et des infrastructures au Venezuela.
– CNPC et CNOOC sont actuellement en négociation avec l’espagnol Repsol YPF pour acheter sa part en Argentine dans la compagnie YPF pour 17 milliards de dollars. La chine risque de réussir là où la Russie gazprom a échoué en 2008.
– Au Canada, SINOPEC rachète 10% du projet Northern Lights au français Total et fait ainsi monter sa participation à 50/50 avec le pétrolier français dans ce projet des sables bitumineux de l’Alberta.
-En Australie, le géant US Exxon et le chinois Petrochina ont signé un accord pour 41 milliards de dollars pour la livraison pendant 20 ans de la production de gaz naturel liquéfié (GNL) du champ gazier australien gorgon.
– En Russie, la Chine échange des prêts pour une valeur de 20 à 25 milliards de dollars contre des accords de livraison de pétrole via l’oléoduc VSTO. Les accords sont signés entre les compagnies Russes Transneft, Rosneft et CNPC.
Le plus emblématique est que la plus grande capitalisation mondiale n’est plus le pétrolier US Exxon mobil mais la compagnie pétrolière chinoise Petrochina.
Pendant que certains cherchent du goudron et des plumes pour le trader fou, la Chine continue ses achats dans l’énergie et les mines avec ses énormes réserves de dollars. Pendant que l’Europe et l’Amérique du nord achetaient les DOT.COM au prix de l’or, la Chine achetait déjà du pétrole et des mines. aujourd’hui la Chine préfère les compagnies pétrolières aux banques. La Chine apportent des financements aux projets pétroliers et gaziers dans le monde entier à un moment où banques et investisseurs les ont oubliés.
Je ne vous ai parlé ici que du pétrole et du gaz, vous pouvez aussi ajouter le charbon et l’uranium pour l’énergie et presque tous les métaux industriels.
Mais je peux me tromper, sous estimé le poids d’un trader londonien et de sa souris sur l’avenir énergétique du monde. La création en Chine d’un super ministère de l’énergie qui inclut le pétrole, le gaz, le charbon, le nucléaire et les énergies renouvelables* (NEA : National Energy Administration) en Juillet 2008 est peut être le fruit du hasard…
Dr Thomas Chaize
* La Chine veut aussi investir 310 milliards d’euros dans le développement des énergies renouvelables dans la prochaine décennie.